L'œuf
et les pigments

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La peinture à l'œuf, je devrais dire ma peinture à l'œuf. En effet c’est une expérience solitaire et personnelle que j'explore depuis les années soixante dix.
L’origine de ma pratique n’est-ce pas ma fascination pour les peintures restées fraîches et vives du moyen âge ou bien ce livre de Xavier de Langlais qui me marqua au sortir de l’adolescence, livre consacré à la technique de la peinture à l’huile où un chapitre évoquait la tempera qui me fit rêver ? N’est-ce pas qu’un souci d’économie, me fabriquer mes couleurs à un coût moindre en artisan ? Peu importe j’utilise l’œuf.
Un moment, j’ai eu envie d’apprendre la technique traditionnelle de la tempera, envie vite oubliée car rebelle à l’enseignement. Pourtant ce n’est pas l’admiration qui me manque pour la maîtrise que possédaient les anciens. Certains me reprocheront cette démarche solitaire et obscure ignorant le profit qu’aurait pu m’apporter un enseignement. Dans cette vie-là j’avais l’âme exploratrice, expérimentatrice au risque d’avoir travaillé pour rien, de m’être perdu dans des chemins sans issue, je serai élève par une autre vie.
La technique de l’œuf par rapport à l’huile a un intérêt pour moi tout contemporain, des temps de séchage rapide et un aspect final très peu modifié par ce séchage. Moi qui aime travailler à l’inspiration, dans l’immédiat, avec souvent la nécessité de terminer tout de suite, l’usage de l’œuf me convient parfaitement. Par contre les inconvénients majeurs sont l’impossibilité de réaliser les empâtements et une très grande difficulté pour faire des reprises. On n'a pas droit au repentir. Mes interrogations par rapport à ma pratique se portent sur la longévité de ces peintures réalisées sur papier. Même si j’ai maintenant pas mal d’années de recul et que je constate une très bonne conservation je sais que dans des conditions difficiles comme l’obscurité, le manque d’air, l’humidité, des mycélium gourmands auraient vite fait de faire disparaître définitivement mes dessins ! Il y a là matière à réflexion et je peux me dire que si les futurs possesseurs n’y trouvent pas  un minimum d’âme mes peintures n’auront aucune chance de perdurer et là il y a un réconfort car dans ce cas elles ne joueront pas les prolongations dans un grenier ou une cave car elles serviront de pitances à quelques champignons.


Les avantages de la peinture à l’œuf, utilisée en Occident jusqu’au XVème siècle étaient incontestables : fraîcheur des tons, matité relative, conservation presque miraculeuse en atmosphère sèche, sans le moindre jaunissement de la pâte et, surtout, en raison même de la rapidité du séchage de l’agglutinant, facilité de superposition et pouvoir couvrant remarquable.
La peinture a tempera des primitifs consistait essentiellement dans l’emploi de l’œuf (œuf complet, jaune et blanc à la fois, ou seulement soit le jaune soit le blanc) comme agglutinant des poudres colorées ; le diluant étant tout simplement de l’eau. Malgré des variantes qui comportaient parfois l’emploi d’une quantité très notable d’huile et de vernis en émulsion dans l’œuf et, parfois même, d’un peu de cire, il s’agissait donc, en principe, d’une peinture à l’eau.
A côté des avantages que nous venons d’énumérer, le procédé a tempera présentait donc les mêmes inconvénients que les autres peintures à l’eau : impossibilité de modeler longtemps dans le frais, modification des tons au séchage (légère d’ailleurs, ici), fragilité extrême en atmosphère humide, de sorte que les couleurs broyées avec cet agglutinant à base d’œuf devaient, le plus souvent, être protégées par un vernis résineux qui en altérait plus ou moins l’harmonie.

* Définition du procédé a tempera extraite du livre de Xavier de Langlais «La technique de la peinture à l’huile»
 


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