Ils ont écrit : Bernard Merle  sur Jacques ROUSSEL ...

L'été meurtrier

 «  QUAND CEUX QUI VONT... S'EN SONT ALLÉS »

Rarement saison aura été aussi funeste à la chanson que cet été 2009. Pas la chanson qui fleurit  sur les grands média, dans la superficialité des modes et du bric-à-brac people qui s'y attache, mais celle que nous aimons, celle qui trouve son épanouissement dans l'intelligence, le cœur et la sensibilité d'auditeurs attentifs, exigeants. Qu'on nous permette de saluer ici l'un  de ses plus authentiques serviteurs.

 JACQUES ROUSSEL : ADIEU, L'AMI 

Décédé le 8 septembre, Jacques Roussel laisse derrière lui plus d'un demi-siècle d'engagement au service de la chanson  « d'expression française», comme il tenait à le préciser. Animateur de radios libres, organisateur de festivals, présentateur de nombreuses manifestations, ce libertaire aura vécu sur le mode majeur à la manière de Barbara  : «  rien que la chanson pour toute richesse ».

 Cela commence par de joyeuses opérettes méridionales. Fils d'un baryton basse de l'Opéra de Marseille où il naît en 1932, Jacques en garde  « d'inoubliables souvenirs d'enfance. Vivant dans un milieu artistique, écrit-il, on recevait à la maison quelques-unes de ces gloires à la mode marseillaise que j'ai eu le privilège de rencontrer : Alibert, Mireille Ponsard... ». Apprentissage du piano, découverte de la poésie, écriture :   «  Je suis ce jeune homme qui rêve d'amour fou et lit Rimbaud avec éblouissement. J'ai une petite amie à qui je lis les derniers poèmes d'Éluard... » .
Bientôt la chanson lui fait signe. Drôles de signes : au service militaire, Marc Ogeret dort dans le lit superposé au sien, et lorsqu'au début des années cinquante Jacques emménage à Paris, c'est au-dessus des Trois Baudets. Ignorant bien sûr qu'un demi-siècle plus tard, aux côtés de Philippe Meyer et Jean-Christophe Averty, il siégera lui aussi dans l'auguste Bibliothèque Nationale de France, lors d'un colloque consacré à Jacques Canetti, fondateur du légendaire cabaret...
Pour l'heure, y voyant débuter Brel, Mouloudji, Brassens, il veut aussi tenter sa chance. En vain : c'est au service des autres qu'il se fera connaître.  «  Le verbe haut, le micro bagarreur, ce défenseur de la rengaine bienvenue attaque sans répit les moulins à vent du show biz » écrit Georges de Cagliari, qui le décrit ainsi :  «  La tête d'un Mastroïanni sur le corps d'un Jacques Villeret. En réduisant le tout d'un tiers !  ».
En effet, dans le monde de la chanson, Jacques devient vite un nom et une silhouette que, décennie après décennie, on n'a plus cessé de voir arpenter les salles de spectacle, toujours en quête de découvertes. Des années durant responsable de la commission Chanson des Discothèques de prêt de la Ville de Paris, il tient la rubrique éponyme dans Écouter voir,  revue des professionnels de la diffusion musicale. C'est à lui que l'on doit de voir apparaître bientôt dans les bacs de France et de Navarre les disques d'inconnus nommés Lynda Lemay, Bénabar ou Véronique Pestel.
Conférencier dans les prisons, les maisons de retraites, organisateur de tremplins, de soirées chansons, "JR" comme il se nomme lui-même par autodérision en référence au feuilleton Dallas, est présent partout où la chanson peut être défendue, distribuant force tracts ornés de son impayable caricature en Superman, oeuvre du dessinateur et scénariste de BD Jean-Pierre Joblin.
À partir des années quatre-vingt, ses émissions sur les radio libres sont d'hebdomadaires rendez-vous où l'on peut entendre s'exprimer les grands noms de la chanson "de qualité" : Anne Sylvestre, Monique Morelli, Escudéro, Lemarque, Vigneault, Moustaki... Elles sont annoncées dans la presse nationale (Télérama, Le Matin, Libération). En janvier 1988, Le Monde fait part de son "Aligrement vôtre" consacrée à L'Écluse : deux heures en compagnie de Marc Chevalier, Bernard Haller, Cora Vaucaire, etc. Occasion on s'en doute d'évoquer Barbara.
Barbara que Jacques célébrera souvent après sa disparition : en recevant ses jeunes interprètes (Isabelle Vajra, Annick Cisaruk,...), ses biographes (Jean-Daniel Belfond, Sophie Delassein,...), et bien sûr notre association : le 11 juin 2000 à l'occasion des ventes aux enchères, le 12 novembre de la même année pour le spectacle de Valentin D'un barbare à l'autre ; le 18 novembre 2001, pour une rencontre avec Alain Wodrascka et son éditeur Didier Carpentier ; le 3 octobre 2004 à l'occasion du spectacle d'Eniko Szylagi. Au long de ces dix dernières années, Jacques s'est fait l'écho de nos principales manifestations commémoratives : plaques, médaille, expositions. Le 3 juin 2007 enfin, il consacrait à Barbara une rétrospective de deux heures, archives à l'appui.
En 2004, pour mon anniversaire, il m'offrit son recueil de poèmes Vers de bohème. Je n'ai pas suffisamment pris garde alors que l'un deux, intitulé Souffrance, confiait ceci :  « J'ai beaucoup souffert / En mon cœur, mon ami /... J'ai beaucoup souffert / Et encore souffrirai / Jusqu'à l'heure dernière / Jusqu'au souffle dernier ».  En effet, Jacques souffrait beaucoup et ne se plaignait jamais. Il en est mort.
« Ce n'est pas un très bon journaliste »
, m'a dit un jour avec dédain un producteur de Radio France." Bon journaliste" ? Il était mieux que cela. Les "bons journalistes" sont légions sur les antennes privées et nationales, on les duplique à la chaîne, comme tout ce qu'on fait aujourd'hui. Mais on ne duplique pas les Jacques Roussel, qui œuvrent sur les radios associatives, là où l'intérêt pour l'auditeur prime sur l'audimat, le fond sur la forme, la générosité sur le narcissisme et le savoir-faire du présentateur. Le public ne s'y trompe pas. Témoin le 16 septembre la foule venue au Parc Georges Brassens saluer la mémoire de "Tonton" -  comme l'appelaient avec affection ses amis.  «  Je garde de lui le souvenir d'un être empli d'énergie, de passion pour la chanson française, et attentif aux interprètes. », nous écrit Isabelle Vajra. Elle a raison. Salut, Jacques, et grand merci à toi. Nous ne sommes pas près de t'oublier. 

Bernard MERLE, président fondateur de l'association « Les Amis de Barbara »

Article publié
dans "La Lettre des Amis de Barbara" n°39 (Automne 2009)   http://lesamisdebarbara.free.fr

Autres textes

 

Retour menu Parcours Lire Jacques Roussel

La Chanson, Poésie , Radio et Presse écrite

Contact

 

 

Retour accueil