Mon tour de pays

Extrait de Le Mercelot d'Adélaïde -  Roman - Edition Alphonse Marré (épuisé) (1986)

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C’est le privilège des revenants de voltiger sur l’aile du vent, d’être d’éternels flocons.
Je suis l’ombre d’un souvenir. L’esprit d’un colporteur du pays Carnute qui trahit son errante confrérie.
Je n’ai pas su retenir ma langue, comme l’alouette, tout en plumes et gosier, je me confonds avec les pierres des chemins, l’aile tourterelle des nuages sans pouvoir m’arrêter de raconter mes histoires…
Comme un moulin ! Mon côté mercantile…
Je suis moins que rien, l’écho d’un mot… Mercelot, colporteur, porteballe, regrattier, camelot, coureur, ambulant, margoulin, chineur…
Pour vous parler de moi, j’ai enfreint la loi du silence, j’ai soufflé mes aventures à l’oreille d’un écrivain local, un nostalgique banlieusard, un mulet aux gènes incertains, mi-dunois, mi-parisien, saupoudré d’incertitudes, un petit auteur suffisamment fat pour croire qu’il est pour quelque chose dans l’histoire qu’il écrit. Il arrange la mélodie. Il ose des improvisations sur mes thèmes mais ni vu ni connu j’t’embrouille, il ne me dénoncera pas à mes anciens compagnons du trimard. Je ne serai pas la honte d’une famille de fantômes d’ambulants. Les nuages ne me feront pas leurs cornes en passant et personne dans le pays n’y reconnaîtra les siens… Nous en savons tellement sur tout le monde que cent cinquante ans après ça ferait encore des histoires… Avec un auteur comme porte-parole, c’est plus pratique.
Je fais le dessin, il met la couleur et il signe… Il est responsable, a lui de s’arranger, de farder la vérité, de savoir si c’est Colas ou Goupil, Sancheville ou Authon-du-Perche…
Je continuerai inlassablement à faire mon tour de pays, à suivre tranquillement le vent de chez nous qui ne retrousse que les jupes des jolies filles, trombone dans les clochers, froisse les bosquets…
Je ne me sens pas l’âme d’un délateur. Je reste moi-même, je suggère, je fais raconter, j’ai ma conscience pour moi !
C’est mieux pour un fantôme… Et puis même si on savait en-haut lieu que j’agite les neurones d’un plumitif de Saint-Maur-sur-le-Loir, que voulez-vous qu’on me fasse ? Sûrement pas une déchirure là où je n’ai plus rien.
Je suis revenu faire mon tour ces derniers temps, planer un peu au droit du Loir, plonger sur Bonneval, glisser au ras des futaies de Moléans, marauder sur les roseaux des Ouches, battre de l’aile à Orgères, Sancheville…





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