Rien ne m'étonne
 Nouvelle  (novembre 2005) - Jean-Claude Ponçon


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Ce fut un rêve.
Le moment d’écrire un rêve devient tout de suite difficile, il penche dangereusement vers le bien rédiger et ne trouve pas ses mots…
Nous déambulions à trois dans les rues de Chartres (peut-être Chartres ?), quand l’un d’entre nous nous entraîna vers un lieu où disait-il on danse et s’amuse…
J’étais jeune, (il va sans dire) vingt ans, un peu plus peut-être et prêt à accepter tous les lieux de plaisir…
Nous nous assîmes dans une grande salle où les tables entouraient une piste de danse surélevée d’environ cinquante centimètres et recouverte, allez savoir pourquoi, de moquette… (dans un rêve rien n’étonne).
Je ne me souviens pas avoir dansé, ni avoir entendu une musique, ni rencontré une fille de grande ou de petite vertu, mais par contre j’y couchais puisque le lendemain je m’y réveillais ! (dans un rêve rien n’étonne décidément !).
Dans cet hôtel où il n’existait qu’une salle de bain commune, j’allais faire mes ablutions matinales, mais il me fallut attendre mon tour de douche comme aux anciens bains douches municipaux. Les cabines s’alignaient sans porte dans un étroit couloir aux murs de ciment gris. Je ne me souviens pas y avoir vu des gens nus, mais par contre j’y croisais des enfants qui y entraient et en sortaient en costume. (pourquoi s’étonner dans un rêve ?).
Je revins dans ce qui devait être ma chambre pour constater que j’avais oublié mon slip et mon maillot de corps dans le vestiaire de ces douches.
J’y couru, en revenant il me fallut traverser un  jardin tandis que de l’autre côté d’un grillage deux chiens, bergers Allemands, hurlaient furieusement (tout à fait normal dans un rêve !)
C’est à cet instant que sans transition je la rencontrai. Nous ne nous étions plus vus depuis si longtemps, nous conservions l’un de l’autre un souvenir si beau, si doux que nous nous embrassâmes tendrement comme si le temps passé n’existait plus…
Vous n’imaginez pas comme elle s’ajustait à moi, petite, souple, légère et chaude. Ses cheveux caressaient ma bouche, son corps épousait le mien… Je crois bien que nous n’échangeâmes aucune parole. Nous vivions un instant de parfait bonheur.
Puis brutalement je réalisais mon âge, mes soixante-huit ans s’imposèrent à moi comme la hache sur le cou du condamné ! Je l’écartais, si petite, si belle en lui disant regarde-moi, je suis vieux, rien n’est plus possible.
Elle dut me comprendre. Elle s’éloigna sur un chemin qui menait au mur d’une maison. C’est alors qu’à capela j’improvisais un chant qui me parut mélancolique et beau. Je chantais juste et bien comme si un don m’était donné pour cet instant.
Elle ouvrit une porte dans le mur de la maison, elle se retourna furtivement, je continuais mon chant comme si je voulais en imprégner ces murs, les murs de cette maison, et qu’on entende pour l’éternité cette mélodie, mélancolique et belle.
(On peut toujours rêver !)

 

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